7
Tandis que Stavver étouffait le feu, Aleytys caressait la fourrure rousse d’Olelo. Derrière elle, le gros bouton orange du soleil projetait les ombres fantasques et allongées de Loahn et Kale en train de harnacher les chevaux.
Maissa arriva au sommet d’une éminence, le visage renfrogné de colère.
Aleytys poussa un soupir. Tous les présages indiquaient l’imminence d’une confrontation lorsqu’elle informerait Maissa de la nécessité de changer de plans. Elle hésita puis prit son souffle et lança :
– Leyilli.
L’air grognon de Maissa s’accentua lorsqu’elle posa les yeux sur Aleytys. Elle descendit la pente en malmenant l’herbe humide et froide. Arrivée au niveau du camp, elle s’arrêta et croisa les bras sur ses seins nus en frissonnant. Son visage était tiré et elle avait de la chair de poule.
– Que veux-tu ?
Aleytys jeta un coup d’œil à Loahn et laissa tomber ses épaules pour atténuer sa personnalité et paraître moins provocante.
– Le jeune paria, dit-elle doucement. Il faut que nous le ramenions chez lui.
Maissa souffla, recula d’un pas et se dressa sur la pointe des pieds, l’air d’un serpent qui va attaquer.
– Et alors ?
– Il faut raccommoder les choses.
– Et tu veux mettre ta main dans le feu pour ça ? (Tremblant de colère et de froid, elle désigna du pouce l’adolescent qui attendait.)
– Si tu désires la paix et la tranquillité, il nous faut le ramener. Sinon nous aurons des ennuis.
Les narines de Maissa se dilatèrent.
– Tranche-lui la gorge, enfouis-le à deux pieds sous terre et tout sera réglé. (Elle se frotta les bras.) Sous ce fichu tas de merde. (Elle frissonnait encore plus violemment.) Plus tôt nous le quitterons…
– Si tu fais ça, tu auras un autre problème sur les bras.
La voix d’Aleytys était maintenant sèche et Maissa se tendit davantage. Elle se redressa et foudroya du regard Aleytys.
Celle-ci hocha la tête en direction de l’adolescent, tout en passant la main sur le jabot du porte-parole.
– Moi. Il faudra aussi que tu me liquides. Je ne permettrai pas qu’on tue ainsi ce gamin.
– Ah oui ? Sale petite rampante ! Tu ne l’accepteras pas ? Peuh !
Elle virevolta et bondit sur Loahn, qui resta debout, immobile, devant cette furie qui se précipitait sur lui. C’était une arme de jet prête à assener un coup mortel. Le visage déformé par la rage, elle rebondit sur Stavver, qui s’était interposé encore plus vite qu’Aleytys. Il réussit à l’encercler de ses bras nerveux et grogna :
– Leyta, mets en branle ta foutue magie !
Le diadème chanta et son corps entra en action avec une rapidité croissante, qui l’étonna et la ravit. Pour la première fois depuis que le diadème s’était emparé d’elle, elle n’était plus totalement écartée, prisonnière de son propre crâne. Elle partageait ce nouveau talent, et le plaisir qu’elle en tira ajouta à la confusion qui tournoyait dans son esprit. Les visages des personnes reflétaient le scintillement des joyaux du diadème.
– LÂCHE-LA !
Sa voix lui sembla étrange : elle était descendue d’une octave, au niveau d’un baryton.
Stavver hocha la tête, lâcha Maissa et la poussa rudement en avant tandis qu’il bondissait de plusieurs pas en arrière.
Avec un cri, Maissa se précipita sur Aleytys, trois doigts tendus vers sa gorge, sans se donner la peine de se couvrir. Aleytys écarta cette main et, dans le même mouvement, abattit deux phalanges à la jointure du cou et de la mâchoire : la petite femme émit un gémissement de douleur, roula au sol et se redressa, prête à contre-attaquer.
Maissa fit lentement le tour d’Aleytys, cherchant une faille dans sa défense. Mais elle reconnut vite la transformation qui s’était opérée dans cette fille ; elle était fascinée par les scintillements du diadème. Sur les traits de Maissa, l’avidité remplaça la colère.
– Le diadème, haleta-t-elle. Le diadème RMoahl. Stavver avait dit que tu l’avais.
La présence quitta progressivement la trame de ses nerfs tandis que le tintement se réduisait au silence. Aleytys haussa les épaules.
– Comme tu peux le voir, fit-elle, la gorge serrée, la voix haut perchée par réaction contre le ton précédent, plus bas.
Olelo arriva et demanda à être pris dans les bras. D’un air absent, elle installa le porte-parole sur son épaule.
– M’écouteras-tu, maintenant ?
La colère réduisait la bouche de Maissa à une ligne mince. Elle hocha la tête, le corps raide, les muscles contractés en prévision d’une attaque que son cerveau plus calme refusait de lancer.
– Si ce garçon reste en vie, pour notre bien comme pour le sien, il faut que j’ôte la malédiction de sur sa tête. Cela ne prolongera pas tellement notre séjour… (Elle donna un coup de pied dans la terre sablonneuse.) Quatre ou cinq jours… pas davantage. Mais nous pénétrerons à Karkys profondément immergés dans la vie de ce monde. Ce garçon m’est lié par le corps et l’esprit jusqu’à ce que je le relâche. Je puis garantir qu’il se révélera sans danger pour nous.
– Garantir !
Le mot parut méprisant, mais Maissa se contrôlait fermement. Elle considérait Aleytys d’un regard froid comme la mort.
– Oui.
Aleytys tapota sa tempe pour que les autres, fascinés, puissent entendre le tintement du diadème. Maissa détourna la tête sans bouger le corps et jeta un coup d’œil fortuit à Kale.
– Kale ?
– Oui ?
– Ce qu’elle dit.
Kale arracha son regard du sourire impudent affiché sur le visage étroit de Loahn. Il hocha la tête à contrecœur.
– Si nous voulons continuer, la gikena doit ôter la malédiction.
Les yeux de Maissa se posèrent sur Stavver tandis que ses poings se fermaient et se rouvraient à plusieurs reprises, puis elle fit à nouveau face à Aleytys.
– Nous avons besoin de toi, femme. Pour le moment. Ne force pas trop ta chance. Et tiens ton moutard hors de ma vue. (Elle se retourna et menaça du regard Kale et Stavver.) Qu’est-ce que vous fabriquez, espèces d’idiots ? Vous voulez encore perdre du temps ?
Elle alla à grands pas jusqu’à sa caravane, s’y hissa avec la souplesse d’une tigresse et s’installa sur le banc.
– Eh bien ? fit-elle en saisissant les rênes.
S’approchant de son chariot, Aleytys sentit une nausée monter en elle, comme elle se rappelait l’état dans lequel Maissa avait mis les chevaux le premier jour. Elle s’arrêta près de Kale et posa la main sur son bras.
– Laisse-la, murmura-t-elle.
Kale parut stupéfait.
– Les chevaux ne souffriront pas trop longtemps et sa rage s’épuisera. Cela n’aura rien d’agréable, mais… (Elle haussa les épaules.) Quand nous nous arrêterons à midi, je les soignerai.
Ses yeux noirs plongèrent un instant dans les siens. Puis il hocha la tête.
– Bien. Qu’elle prenne la tête. Dis-lui qu’elle prenne le premier tournant au nord… Une minute. Loahn.
Sa tête apparut derrière celle d’un cheval, une vive curiosité peinte sur le visage.
– Le premier tournant au nord ?
Il branla du chef. Il s’éclaircit la gorge et dit d’une voix hésitante :
– Il suffit ensuite de suivre les ornières principales. Le croisement pour le lac Po arrivera en milieu de matinée du deuxième jour.
– Bien. Tu as compris, Kale ?
Il marqua son acquiescement d’un salut de deux doigts et rejoignit Maissa en glissant comme le félin dessiné sur sa peau.
Maissa zébra le flanc d’un hongre, qui hennit de douleur. Sa caravane passa à toute allure, tanguant dangereusement. Une nausée de colère l’envahissant, Aleytys grimpa sur le banc.
– Conduis, veux-tu, Keon ? Loahn, reste hors de vue, à l’intérieur ou sur le marchepied arrière, comme tu voudras.
Il lui sourit, son assurance habituelle revenue. Aleytys lui adressa un terrible froncement de sourcils.
– Dépêche, farceur ! Même le nuage de poussière est en train de disparaître.
Stavver gloussa et claqua les rênes. Les chevaux partirent à un trot rapide. Avec un grand rire, qui était une affirmation de leur ardeur renouvelée, il courut derrière le chariot et bondit dedans à la volée.
Aleytys se laissa aller en arrière, se sentant soudain très légère.
– Tu as vu son visage, Miks ? Ahhh…
Elle gloussa et s’étira en se tortillant sur la planche dure du banc. Il tendit une main et écarta une mèche de devant son front.
– Elle n’aurait jamais cru qu’une rampante barbare pourrait la manipuler ainsi.
– Eh bien elle n’avait pas tort. Ce n’est pas moi qui ai fait tout cela.
Miks redevint sérieux.
– D’une certaine manière, c’est dommage que nous n’ayons pu conserver cet atout dans la manche. Maissa est un vrai serpent, Lee. Elle sait désormais qu’elle ne peut t’attaquer de front. Surveille tes arrières.
– Je ne comprends pas. (Elle se gratta le genou avec l’index et ôta un bout de peau morte.) Tu n’arrêtes pas de me dire qu’elle est mauvaise et cruelle. D’accord, elle maltraite les animaux. Elle pique facilement des colères. Elle a tenté de tuer Loahn. Rien de tout cela n’est particulièrement doux et aimable, mais elle ne nous a encore rien fait de mal.
– Elle a besoin de nous en ce moment.
En milieu de matinée, ils bifurquèrent sur une piste plus étroite où des herbes poussaient néanmoins entre les ornières. Le vent venait maintenant du nord au lieu de l’ouest, haleine de la région des lacs au lieu des effluves secs et brûlants de la région des roches. L’humidité de l’air augmentait progressivement et l’herbe devenait plus riche, pour finir par recouvrir le sol d’un tapis épais de deux empans. À intervalles réguliers, des lignes d’un vert plus foncé marquaient à gauche ou à droite l’un des nombreux lacs qui donnaient son nom à ce secteur de Lamarchos. À deux reprises, comme ils passaient devant de nouveaux croisements, elle aperçut au loin de minces tours écarlates se terminant en tulipes ouvertes vers le ciel. Elle supposa qu’elles se trouvaient dans quelques villages.
De part et d’autre de la route, des clôtures en bois, que l’âge et les intempéries avaient colorées d’un gris velouté, délimitaient des pâturages, des poulinières dans un pré, des yearlings dans l’autre, puis des pihayo, des poulinières, des étalons et des hongres, des pihayo, et ainsi de suite. Une plante grimpante aux feuilles en cœur et aux fleurs en trompette s’enroulait autour des barres horizontales, cascades de feuilles plongeant en chutes verdoyantes tandis que des fleurs grosses comme le poing émettaient des flots de parfum suave. Des heures et des heures de ces plantes, des heures et des heures de ce parfum lourd mêlé à l’air de plus en plus humide, au point que la poussière soulevée par les chevaux collait à la peau comme du poil à gratter.
De temps à autre, un ou deux chevaux s’approchaient de la clôture pour les regarder passer, les yeux brillants d’intérêt, les narines frémissantes, renâclant d’excitation. À un moment donné, quelque chose effraya un troupeau de chevaux de deux ans qui s’enfuirent brutalement, la queue dressée, la crinière au vent. Aleytys lâcha une exclamation de joie, puis aperçut le regard rieur de Stavver ; elle fut emplie d’un chaleureux sentiment de complicité dans l’appréciation commune.
Ils avisèrent plusieurs fois des cavaliers au loin, mais pas assez près pour qu’ils manifestent leur intérêt.
Juste avant midi, ils longèrent un pré où les pihayo paissaient près de la route. Ils purent examiner en détail les curieuses créatures aux cuisses épaisses et au large corps musculeux, ressemblant au premier abord à des mérinos sales ayant trop grossi. Mais, au lieu d’un poil bouclé, leur fourrure était faite de longs poils rudes et huileux. La puanteur rance et âcre l’emportait même sur le parfum puissant des espèces de coucous. Aleytys fronça le nez à l’idée de manger de la viande qui vivante sentait si mauvais.
Quand la boule de feu atteignit le zénith, ils rencontrèrent la caravane de Maissa rangée dans un refuge, un cercle d’arbres penchés sur des tables usées par les intempéries, assorties de sièges et protégées par un édifice à toit plat supporté par une série de gros poteaux sculptés en forme d’animaux stylisés. Maissa était assise sur la margelle d’un puits et, comme Aleytys la regardait, elle plaça dans sa bouche une gélule jaune. La réaction rapide de la drogue surprit Aleytys et lui donna le vertige.
Elle s’essuya les mains comme pour se débarrasser de la fange régnant au fond du cœur de Maissa. Puis elle alla soigner les chevaux. Lorsqu’elle releva les yeux, Kale la considérait.
– Tu penses que tu pourras conduire le restant de la journée ? Sans provoquer une crise ?
– Pas si c’est toi qui le lui suggères.
Aleytys éclata de rire.
– Exact. Elle ne me verra pas.
– La drogue devrait nous aider. Elle ne mangera pas et dormira probablement la plupart du temps. (Il se frotta le dos contre l’un des poteaux et la contempla avec une espèce de compassion teintée d’irritation.) Pourquoi ? explosa-t-il. Pourquoi la laisses-tu te contrôler ainsi ?
Aleytys écarta les mains et haussa les épaules.
– C’est elle qui possède le vaisseau.
– En te coupant d’elle, tu trouverais rapidement place à bord d’un autre astronef, avec tes pouvoirs. J’ignore pourquoi tu passes d’un soleil à l’autre, mais…
Aleytys se secoua pour se débarrasser de la poussière.
– Ay-mi, Kale, je rêve de prendre un bain. De plonger jusqu’au cou dans une eau savonneuse et chaude. De me laver les cheveux et de m’allonger au soleil pour sécher. Ah, que j’ai faim ! Tu as mangé ?
– Il y a une heure que nous sommes arrivés.
Aleytys hocha la tête et le quitta pour rejoindre Loahn et Stavver.
Lorsqu’ils repartirent, elle prit la place de Loahn sur le matelas et laissa son corps s’adapter aux secousses de la caravane. Devant, elle entendait des bribes de conversations perdues dans le fracas des roues et des sabots.
Sharl se réveilla et d’un hurlement impératif manifesta son inconfort. Aleytys se leva en riant et le changea. Elle lava ensuite la couche sale et l’étendit pour la faire sécher. Pendant ce temps, son fils babillait joyeusement et attrapait tout ce qui était à sa portée, même s’il s’agissait d’une partie de son anatomie.
Aleytys s’essuya les mains et prit le bébé. Elle le berça quelques minutes puis joua avec lui jusqu’à ce que ses rires l’aient fatigué. Elle lissa les couvertures dans le tiroir et l’y allongea.
Elle le regarda un certain temps s’endormir puis s’installa sur le matelas et fixa d’un air morne le plafond qui oscillait.
Très bien, songea-t-elle. Toi, dans ma tête. Je ne suis plus une enfant ignorante et terrifiée. Maintenant, j’ai vu tes yeux s’ouvrir… ambre… noirs… il faudrait que tu te décides… Madar, ça me fait tourner la tête… Es-tu… qu’es-tu ? Elle ferma les yeux et attendit. Le chariot cahotait toujours et le martèlement régulier des sabots était parfois ponctué par le hennissement strident d’un étalon qui galopait le long de la clôture en lançant son défi à un monde placide et incapable de le comprendre.
Elle commençait à avoir mal aux muscles des épaules sous l’effet de la tension qui l’encerclait petit à petit.
– Ahai, marmonna-t-elle. Cela fait longtemps… trop longtemps.
Elle ramena son esprit sur la vallée de la Raqsidan et recréa tout ce que Vajd lui avait appris pour se détendre le corps et l’esprit. Il n’y avait pas tellement longtemps, finalement… une année standard seulement. Mais pour moi le temps s’est écoulé différemment. Il s’est mesuré en changements… c’est cent fois le temps que j’ai vécu dans la vallée. La Raqsidan… Elle sourit en se rappelant l’eau claire et froide du fleuve de montagne, claire comme le cristal, le vert coulant sur le vert… l’eau qui dansait en blanc dans les rapides et formait un arc-en-ciel de brume au-dessus de la chute du pont… brutalement, elle éprouvait une terrible nostalgie.
Aleytys arracha son esprit à ce cycle destructeur et reprit à son début l’exercice le plus simple… une longue inspiration que l’on relâche à petits coups… La tension qu’elle voulait chasser avec tant de détermination s’évanouit lentement et son esprit se calma. Elle était allongée, le pouls lent et puissant comme celui d’un coureur de fond, l’esprit détaché et serein, le corps si bien accordé à son environnement qu’il s’ajustait aux cahots sans guère gêner ses pensées…
Je m’ouvre à toi… viens… nous partageons le même corps… naguère j’étais irritée et troublée… mais plus maintenant. Je t’accepte… il le faut… je sais que je ne puis faire autrement… tu m’entends ?…
La tension ébranla la surface placide de son esprit, puis mourut. Elle était proche du coma, la vie un faible miroitement lointain. L’ambre et le noir clignotaient comme des feux de Saint-Elme derrière ses paupières, puis disparurent… Elle respira lentement, lentement… Les feux reprirent. Elle sentit vaguement… quelque chose… quelque chose qui luttait pour la rejoindre ; mais, comme dans un cauchemar, la lutte continuait sans cesse et sans cesse, en vain… Ce qui se débattait ainsi émit un cri de déconvenue, écho inaudible qui palpita dans son cerveau… et battit en retraite… abandonnant derrière soi ce sentiment de déconvenue parvenu jusqu’à l’épuisement…
Elle ferma le poing et ce petit mouvement fit circuler son sang plus rapidement, sa respiration s’accéléra. Elle soupira et ouvrit les yeux ; elle força son corps harassé à poser les pieds sur terre. Un violent mal de tête l’empêchait de réfléchir et troublait sa vision. Elle se frotta les tempes et grimaça sous le tintement qui répondit.
Sharl gémit dans son sommeil. Aleytys rectifia sa position et arrangea les couvertures.
– Il n’y a pas longtemps, mon bébé, je pensais que la présence de cette chose était la fin de tout. C’est drôle, comme on peut s’habituer… (Elle se frotta le haut de la nuque, puis se massa les tempes avec la base des mains, feignant d’ignorer le son qui en résultait.) Maintenant que je sais qu’il m’entend, cela va mieux, continua-t-elle en lui caressant de l’index les boucles. J’ai moins l’impression d’être une esclave. (Elle bâilla.) Ahhhhgh, j’ai besoin d’air frais. (Elle toucha encore son petit corps endormi et murmura :) – Des tas de choses intéressantes nous attendent, mon bébé.
Elle passa la tête entre Stavver et Loahn. Les ombres s’allongeaient rapidement et se mêlaient tandis que le soleil descendait sur l’horizon occidental en s’écrasant. Au-dessus d’eux, les nuages se fondaient en une masse rose pourpre. Plus haut encore, les bactéries aériennes s’amassaient en faux nuages nocturnes.
– Est-ce qu’il va pleuvoir ?
Elle éleva la voix pour que Loahn pût l’entendre dans le vacarme amplifié par le vent qui soufflait maintenant autour du chariot.
– Dans la nuit.
– Alors tu ferais bien de rester à l’intérieur avec nous. (Elle toucha l’épaule de Stavver.) Ça ne te fait rien ?
Sa bouche dessina un rictus, puis il haussa les épaules.
– Pourquoi pas ?
Ses doigts se serrèrent en guise d’appréciation, puis elle eut intensément conscience de la texture de sa chair et regretta immédiatement d’avoir succombé à la pitié.
Stavver rejeta la tête en arrière pour apercevoir le visage d’Aleytys. Il lui adressa un sourire sardonique et apprécia son soudain élan de regret. Il se leva en faisant signe à Aleytys de rentrer dans la caravane. Puis il tendit les rênes à Loahn.
– Occupe-toi de tout.
L’adolescent lui lança un sourire impudent.
– Dure et longue, dit-il gaiement.
Stavver rejeta la tête en arrière et éclata de rire.
– Occupe-toi de ton travail et laisse à un vrai homme les affaires d’un homme, fit-il avant de plonger à l’intérieur.
Loahn renifla et lança le chariot dans un trot rapide qui secoua rudement ses deux passagers. Puis il laissa les chevaux ralentir tandis qu’ils pénétraient dans la pénombre du crépuscule.